lundi 31 décembre 2007

8 clefs pour la réussite des projets

Les projets sont probablement parmi les opérations les plus difficiles à réussir. Pour une bonne raison : qui dit projet dit innovation, et donc risques, incertitudes. Or les enjeux deviennent de plus en plus élevés et les conséquences des retards ou aléas techniques de plus en plus graves. La bonne maîtrise des projets, c’est-à-dire leur réussite technique dans les délais et les coûts fixés, devient donc un vrai enjeu, parfois vital, pour les entreprises. Cet article résume les clefs qui semblent déterminantes pour la réussite. La réussite d’un projet est par nature difficile car il s’agit de dompter l’incertitude et les risques qui sont multiples : risque que les besoins du marché évoluent (et donc de ne pas vendre et rentabiliser l‘investissement), risque d’aboutir à un produit présentant des risques d’accidents (avec des suites financières et juridiques qui peuvent être rédhibitoires), risques de retard et de dépassement des coûts suite à des aléas imprévus, dont les causes peuvent être elles-mêmes variées : désaccords entre les partenaires, échecs techniques, répercussions en cascades de retards… Bref, réussir un projet n’est pas simple. Nous le constatons d'ailleurs en suivant les projets actuels et les causes de leurs déboires. Résumons quelques règles de bonnes pratiques à respecter pour réussir, règles qui ne sont aujourd’hui plus toujours suivies, ce qui est à la source de pas mal des difficultés rencontrées :
La première recette du succès est d’avoir des partenaires (coopérants, sous-traitants et autres co-développeurs) motivés pour le succès de l’opération. Rien de pire que de devoir travailler avec des entreprises qui ne recherchent que leur propre intérêt par exemple, et qui vont essayer par tous les moyens d’aggraver les coûts ou de préserver leur propre know-how et l’exploitation de celui-ci. Comment y arriver ? Une bonne solution par exemple : généraliser les contrats à intéressement, contrats qui prévoient une amélioration substantielle de la marge des intéressés si le projet réussit. Ces contrats sont parfois complexes à mettre au point, mais ils se révèlent très efficaces. Les enjeux financiers sont faibles, car on agit sur les marges bénéficiaires. Par contre, coopérer avec des partenaires qui réunissent toutes leurs forces dans le même but que vous est d’une grande puissance et garantit pratiquement à lui seul le succès.
Cela demande une bonne stratégie de coopération, en recherchant chaque fois des accords gagnants - gagnants.
Rien de pire dans un projet que les spécifications qui varient. C’est toute la conception qui est alors évolutive, et derrière elle, toutes les études et essais dont la validité est remise en cause. On ne peut pas réussir dans ces conditions.
Comment faire ? Seule solution : mener des études amont suffisamment puissantes pour sécuriser les spécifications.
Penser également à tout : toutes les phases d’emploi, tous les types d’utilisateurs, toutes les contraintes, toutes les interfaces…
Mener des études de préfaisabilité détaillées pour essayer de déterminer toutes les impossibilités ou risques élevés.
Faire ce qu’il faut pour valider clairement ces spécifications, y compris et surtout avec les acteurs de terrain.
Cela peut entraîner des frais importants, mais toutes les données démontrent qu’une économie de 1 à ce stade peut entrainer des surcoûts de 100 ensuite si cela crée des aléas.
Dernière règle impérative, une fois les spécifications validées, « s’asseoir dessus » et ne plus les faire varier. Dans les cas où c’est malgré tout indispensable, grouper les évolutions en quelques versions successives, en refaisant chaque fois tous les essais et toutes les études utiles.
Les responsabilités qui s’entremêlent sont également l’une des voies les plus sûres vers l’échec. La règle est claire : chaque ensemble, sous-ensemble, constituant, etc.… doit être attribué avec des responsabilités uniques et claires, à la fois pour sa conception, sa réalisation, sa validation et sa commercialisation.
Citons quelques contrexemples courants :
  • Pour un même élément, une entreprise est chargée de la réalisation de la structure et l’autre des calculs de résistance. On peut être sûr (loi de Murphy) que les calculs ne seront pas adaptés à la structure finale.
  • Pour un même élément, une entreprise est chargée des études et une autre de la réalisation : Il est absolument certain (même loi) que la conception sera mal adaptée à la fabrication, entraînant une forte aggravation des coûts de série

Donc, si on veut échouer, répartir les responsabilités est une recette infaillible.

Assurer une gestion globale (tous acteurs)

Un projet a généralement des incidences sur une masse considérable d’acteurs, depuis le marketing, qui suit le marché et les demandes, les commerciaux, qui se préoccupent des futures ventes, les financiers, les études, les ateliers prototypes, la fabrication, l’après-vente, la logistique, quand ce n’est pas les distributeurs, les sous-traitants, voire parfois les pouvoirs publics…

C’est compliqué, mais si on ne veut pas voir l’un de ces acteurs mettre des bâtons dans les roues, ce qui mettra en route la machine à multiplier les coûts et les retards, il est essentiel de les associer tous au projet d’une façon ou d’une autre, et cela le plus tôt possible, y compris dès les phases de pré-faisabilité initiales.

Il faut aussi sécuriser cette coopération complexe par des écrits responsabilisant les acteurs, afin que leurs dires varient le moins possible dans le temps (ceci rejoint le figeage des spécifications).

Gérer la performance finale

On n’obtient pas ce que l’on ne cherche pas. Par exemple, si on ne gère pas dès le début le futur coût unitaire de revient du produit lorsqu’on le commercialisera, il est inévitable que ce coût dérive fortement, rognant ensuite les marges bénéficiaires, voire les annulant.

On évaluera donc de façon continue les coûts et délais de développement à achèvement, les coûts de revient en série, les coûts après-vente, etc.… (cela ne signifie pas qu’on est capable de les évaluer précisément dès le début, simplement on en tiendra compte dans les choix techniques et le degré d’imprécision diminuera dans le temps).

Anticiper et gérer les risques

La meilleure façon d’éviter les risques est de les anticiper. L’un des premiers rôles de l’équipe de projet est donc d’analyser en permanence les risques et de prendre toutes mesures pour les prévenir :

  • Risques techniques : on renforcera les études amont, avec des validations progressives, on prévoira éventuellement des solutions de secours développées en parallèle…
  • Risques calendaires : on prendra des marges, on suivra particulièrement en amont les travaux concernés, on veillera à un suivi qualité renforcé sur les chemins critiques…
  • Risques financiers : on appliquera des précautions similaires aux précédentes sur les tâches particulièrement coûteuses.
  • Risques industriels (disparition de partenaires, de compétences, etc.…) : on prévoira, dès que le risque apparaît, des solutions de rechanges.

Une remarque importante : ce n’est pas le coût prévisionnel du projet qui est important mais le coût réel à la fin. Dans un projet qui gère bien les risques, le coût à achèvement diminue dans le temps.

Il est clair en particulier qu’il vaut mieux engager plus d’argent au début, notamment pour soigner les études, que de shunter celles-ci dans l’espoir d’être moins cher.

Seconde remarque : quand je parle d’analyses de risques, je ne pense pas aux AMDEC et autres méthodes complexes qui consistent généralement surtout à noyer le poisson, mais à des analyses concrètes menées par les responsables eux-mêmes.

Les économies sur les études et essais sont les voies les plus efficaces pour obtenir in fine de fortes dérives du projet.

Mettre en place un phasage et une méthodologie éprouvés

Un projet est une mécanique très complexe, comprenant des milliers de tâches interdépendantes, qui doivent s’enchaîner et se coordonner les unes par rapport aux autres de façon parfaite.

Il faut bien entendu planifier avec soin l’ensemble, mais il faut aussi et surtout une méthodologie rigoureuse que je résumerai ainsi :

D'abord un phasage progressif à tous les niveaux, chaque phase étant validée par un point clef : études amont de pré-faisabilité, spécifications fonctionnelles, spécifications détaillées, maquettes, prototypes de développement, prototypes de fabrication, qualification, pré-série, série… (ceci étant à adapter à chaque situation…).

L’important ici n’est pas le papier (les projets sont maintenant submergés de plans de management, d’analyses de risques…) mais bien la logique technique sous-jacente, qui permet de valider progressivement les items développés, de détecter les problèmes et de les corriger.

Chaque phase doit aussi préparer soigneusement la suivante : les études doivent se préoccuper de la fabrication et du SAV par exemple.

Il est en outre important que ces méthodes restent stables. C’est leur permanence qui permettra aux équipes de bien les maîtriser : on montre facilement que des méthodes bien appropriées et bien assimilées permettent de réduire considérablement les coûts et les délais.

Ainsi, on peut réduire par deux, voire plus, les délais de développement d’un équipement une fois que toutes les équipes ont les mêmes langages et les mêmes pratiques, avec en outre un gain très net de qualité.

Assurer un suivi qualité efficace

Je n’entends pas ici la qualité au sens du respect de normes, de méthodes standardisées, de plans de qualité, etc.… J’ai souvent plutôt constaté que, plus on formalise, plus on déresponsabilise et plus on démotive. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas écrire, mais qu’il faut se limiter à écrire ce qui est strictement utile opérationnellement parlant.

L’action qualité doit plutôt consister à accompagner l’analyse des risques et à aider à leur prévention, exemples :

  • Un essai est particulièrement coûteux : on mettra en place une forte rigueur pour sa préparation et son exécution
  • Un sous-traitant doit réaliser des travaux demandant des compétences poussées : on l’auditera pour vérifier qu’il a bien les moyens et l’expérience nécessaires (je parle d’audits fonctionnels et non pas d’audits de conformité)
  • Des paramètres critiques sont difficiles à obtenir : on mettra en place un suivi ciblé et si nécessaire des études renforcées.

Et ce suivi doit être ensuite permanent. Ainsi, pour Airbus, on peut s’étonner que les incohérences entre les bureaux d’études n’aient pas été détectées et réduites dès le début.

En conclusion

En conclusion, les dérives constatées sur les projets s’expliquent la plupart du temps par le non-respect de règles simples : études initiales insuffisantes, partenaires qui ne s’entendent pas, aléas non anticipés, formalisme trop lourd, chef de projet qui n’a pas l’autorité ou l’expérience suffisante, etc.…

Certes, de bonnes pratiques ne garantissent pas le succès. Il y a et il y aura toujours dans les projets des aléas non prévus. Mais, mieux on maîtrise le projet et mieux on peut traiter ces imprévus. C’est même le signe d’une organisation performante que de pouvoir absorber les aléas sans trop de casse.

Et c’est ce qui conduit au succès…

Christian DOUCET

jeudi 20 décembre 2007

ISO 9000 or not ISO 9000 ?

(mise à jour du 28/01/08)
La question de l’obtention de la certification ISO 9000 est posée aujourd’hui. Beaucoup d’entreprises se sont fait certifier soit forcées par un client, soit dans l’espoir d’en tirer un avantage commercial, soit pour mieux s’organiser en interne. Toutefois, avec l’usure du temps, le maintien de la certification est devenu, dans nombre d’entreprises, un simple simulacre, ranimé péniblement avant chaque audit du certificateur, qui coûte cher, prend du temps au responsable qualité et, opérationnellement comme commercialement, ne sert pratiquement plus à rien. Des donneurs d’ordre continuent à demander le certificat, mais, à l’évidence, il ne joue souvent plus de rôle réel pour le choix dans les consultations, ni dans les négociations et la fixation des prix. Le seul avantage visible est souvent désormais son affichage aux portes de l’entreprise et dans sa publicité. Cela fait toujours plaisir d’avoir un label. On constate d'ailleurs un désintérêt croissant des entreprises dans les pays industrialisés, la certification restant vivace dans les pays en fort développement. Alors que faire ? Continuer ou arrêter ? Considérons d'abord le cas des entreprises déjà certifiées. Pour prendre la « bonne » décision, les paramètres suivants sont à considérer : L’importance du certificat sur le plan commercial : sa suppression découragerait-elle réellement des clients ? Une évaluation précise est indispensable, car il s’agit souvent de faux-semblants : ce que veut en réalité le client, c’est la qualité, c’est-à-dire de bons produits, vendus à un prix compétitif, livrés dans les délais, avec des services irréprochables. Souvent les services d’achat ne maintiennent l’exigence de certification que parce que c’est demandé par le service qualité, mais ce n’est largement pas déterminant pour eux, et nombre de fournisseurs échappent à cette exigence, du moment qu’ils conviennent techniquement et financièrement. Le prix est d'ailleurs souvent directement conditionné par les services offerts et leur qualité : la sécurité d’approvisionnement, les services additionnels, l’image, l’après-vente, le traitement des problèmes, le partenariat… Bien des clients qui ont commencé par acheter le moins cher reviennent en arrière lorsqu’ils constatent que le coût des déficiences rencontrées excède largement les économies faites à l’achat. Donc, sur le plan commercial, si le certificat n’est pas indispensable, il est conseillé de consacrer plutôt les fonds correspondants à l’amélioration des services fournis. Ce sera plus efficace. Sur le plan interne, deux cas se présentent typiquement : Il y a d'abord les entreprises qui ont profité de la certification pour engager une véritable démarche d’amélioration et dans laquelle celle-ci est toujours active. En réalité elles ont réalisé une démarche qualité fonctionnelle, en s’axant sur la résolution de leurs dysfonctionnements et non sur la conformité à la norme, comme nous le conseillons ici. Elles arrivent alors généralement à bien cohabiter avec la norme, les audits annuels étant l’occasion de remises en cause et de progrès. Elles peuvent garder ou non le certificat selon son intérêt commercial. Elles font l’essentiel, soit la qualité. Le certificat peut être utile pour maintenir la pression. Mais elles peuvent aussi se fixer de nouveaux challenges, soit des labels qualité, environnementaux ou sociétaux (développement durable) ou de nouveaux marchés. Il est en effet important de chercher toujours à progresser. La démarche qualité est comme la bicyclette, elle ne fonctionne bien que si on avance. La seconde catégorie d’entreprises est constituée par celles qui ont réalisé une démarche surtout formelle de mise en conformité à la norme. La certification leur a permis de clarifier leur organisation, et donc déjà de mieux fonctionner. Mais les principaux dysfonctionnements demeurent et la mise en œuvre de la norme apparaît surtout comme un formalisme de peu de valeur ajoutée. On tombe alors dans la situation décrite en début : la direction et les autres services se désintéressent de la question, le système qualité est marginalisé et le travail du responsable qualité difficile. Cette situation est très complexe à corriger car il n’est pas facile de rectifier l’image dégradée de la qualité… La seule solution est de revenir à une démarche « fonctionnelle », soit le traitement participatif des problèmes de fonctionnement, en mettant de côté la norme. Si les clients ne réclament pas le certificat, il vaut mieux abandonner celui-ci et le remplacer par un nouveau challenge, par exemple l’amélioration des principaux indicateurs (opérationnels, financiers, sociaux, qualité…). Ce sont les résultats concrets de la démarche qui, seuls, pourront remobiliser les acteurs et recréer un climat propice. Il ne faut pas hésiter car, plus on attendra et plus le redressement de la situation sera difficile. Cette analyse est également valable pour les entreprises qui envisagent la certification. Leur problématique se présente ainsi : Engager une démarche de mise en conformité formelle à la norme présente peu d’avantages. Elle clarifiera l’organisation mais au prix d’une lourdeur administrative et d’un risque de dégradation des valeurs associées à la qualité. Par contre, mettre en place une réelle démarche mobilisatrice d’amélioration du fonctionnement interne est une excellente initiative. Dans ce cas, la certification peut en être le moteur, en donnant un objectif précis et en forçant les services à bouger. Mais il est indispensable d’adopter une démarche fonctionnelle et non normative. La certification peut alors apporter des progrès remarquables à la fois en interne et au niveau des résultats de l’entreprise, comme le montrent les exemples présentés sur le site qualite-info.net. C’est une excellente solution car, dans tous les cas, certificat ou non, une démarche qualité efficace et dynamique est la bienvenue dans une entreprise. Sans elle, les dysfonctionnements apparaissent et s’aggravent, démotivant les personnels, dégradant le service aux clients et les résultats financiers. La fameuse « usine cachée », constituée par le manque à gagner lié à tous les mauvais fonctionnements, devient considérable. Une bonne démarche qualité permet de la réduire, de maintenir la mobilisation du personnel, de toujours mieux satisfaire les clients et facilite le management. Il est dommage que beaucoup d’entreprises ne le comprennent pas.