mercredi 20 novembre 2013

La gentillesse, source de qualité et de rentabilité (de Sophie Péters, La Tribune du 18/11/2013)

 Cet article; paru dans La Tribune, souligne le rôle des aspects humains, et notamment de la gentillesse et de la bienveillance,  dans le management, au service de la qualité et de la productivité.
 
Depuis 2009, Psychologies Magazine lance chaque 13 novembre la journée de la gentillesse. Sacré pari dans notre pays peu enclin à regarder d'un bon œil cette expression classée d'emblée comme mièvrerie. Pourtant. les recherches en psychologie montrent combien être gentil apporte une profonde gratification psychique et un véritable sens de la coopération. A condition de porter un autre regard sur les relations humaines.
Moins d'efforts, plus de résultats : voici en deux mots l'équation portée par tous ceux qui font désormais l'expérience de la "gentillesse". Parce qu'ils cherchent et trouvent la contribution de leur environnement, parce qu'ils élèvent leur regard au-dessus du marais des malveillances, et leur ambition au-dessus de la mêlée des conflits et des egos, ceux qui pratiquent au quotidien la gentillesse, l'élan du coeur, découvrent bien souvent le courage et l'intelligence dont l'ambition a besoin.
En témoignent ceux qui s'investissent désormais dans l'économie du partage, fondée sur l'entraide et la coopération.

Un mouvement né au Japon en 1963

Telle une nouvelle philosophie de la vie, le Small Kindness Movement (« Mouvement de la petite gentillesse ») prend son envol. Il est né au Japon en 1963 après des affrontements entre policiers et étudiants. Il s'est transformé en 1997 en World Kindness Movement, un mouvement mondial importé en 2009 dans l'Hexagone à l'initiative du magazine Psychologies.
Depuis 2011 le magazine a également emporté dans ce sillage plus de 350 entreprises au travers de son "Appel à plus de bienveillance au travail".
Si la gentillesse a aussi mauvaise presse chez nous, c'est qu'elle est encore perçue comme une naïveté confondante. Si la course au profit existe toujours, si la souffrance au travail est une réalité dans nombre d'entreprises, si la société de la défiance est partout perceptible, il n'empêche qu'un mouvement est en marche.

Réhabiliter l'importance du collectif

Mouvement qui tend justement à inverser celui en vigueur et qui cherche à réhabiliter la place de l'humain et des échanges dans la société, en un mot : l'importance du collectif. Cette nouvelle culture du "nous" qui prend sa source dans plusieurs courants, de la psychologie positive à l'économie positive en passant par l'économie sociale et solidaire et tous les mouvements citoyens, défend une aspiration à plus de solidarité qu'animent les réseaux sociaux. Une communauté de "partageurs" s'échange objets, services, savoirs, financements.
La collaboration en marche n'est pas une simple expression de gentillesse au sens de la négation de soi. Ce qui reviendrait d'ailleurs à la négation de l'autre. Cette gentillesse-là s'éclaire à la lumière de la bienveillance et au respect des uns et des autres. Elle permet de savoir coopérer avec les difficultés inhérentes à la vie. Elle les voit alors plus comme des tremplins pour s'élancer que des obstacles infranchissables. C'est la recherche de la meilleure solution possible à une situation qui s'annonce difficile.

Loin de tout angélisme

Une bienveillance qui offre à chacun de gagner la liberté de réussir et de faire ce qui est en son pouvoir et à sa mesure. Loin de tout angélisme et de faiblesse, mais à l'opposé de la méfiance. Pour mesurer l'ampleur du mouvement en train de naître, il nous faut changer notre angle de vue et de perception des relations humaines.
« Les guerres du siècle dernier, les crises économiques ont secoué les esprits, explique Christine Marsan, psychosociologue, auteure d'Entrer dans un monde de coopération, une néo- RenaiSens. L'humanité aspire à en finir avec les valeurs guerrières, avec un système libéral qui produit de l'exclusion et de la destruction. Cela s'est manifesté, ces soixante dernières années, à travers l'explosion des psychothérapies et des pratiques de développement personnel, mais aussi par l'affirmation d'une conscience écologique à l'ampleur inédite. Chacun aspire à participer à une nouvelle manière de faire société en préservant l'écosystème auquel nous devons la vie ».
Selon la dirigeante de "Mute&Sens", les problèmes que nous avons à affronter sont aujourd'hui trop complexes pour que nous puissions les régler seuls. Nous devons nous épauler.

Certains préfèrent parler de bienveillance

Si la gentillesse reste encore une valeur en proie à la dévalorisation, il serait alors plus juste de lui adjoindre sa cousine germaine, la bienveillance, pour réconcilier les opposants. Les Français en font presque d'ailleurs une nécessité. Pour preuve, le sondage Viavoice qui révèle que 93% des Français estiment qu'ils ont besoin de manière "prioritaire" pour l'avenir de "respect entre les gens". Sous-entendu de plus d'attention accordée à l'autre.
Pas question ici de philanthropie?: les travaux de la psychologie positive en France montre combien la bienveillance et l'écoute dans le monde impitoyable de l'entreprise font preuve d'efficacité.
La science s'intéresse de plus en plus à la thématique de l'« altruisme », de l'« empathie » ou de la « bonté ». Ces recherches, aussi bien chez les psychologues, les biologistes que chez les économistes tendent à montrer que l'aptitude à se tourner vers autrui apporte du bien-être à l'individu.

Une affaire d'économie et de politique

Valoriser les comportements coopératifs, ce qu'Aristote appelle l'amitié, sans laquelle on ne peut bien vivre, serait le plus sûr moyen d'améliorer la productivité globale. Egalement notre démocratie. C'est donc aussi une affaire d'économie et de politique et pas une simple histoire de bons sentiments.
Le psychologue et mathématicien Anatol Rapoport estimait que « le développement moral d'une civilisation peut se mesurer à l'étendue de son sens de la communauté ».Avant lui Hegel considérait la lutte pour la reconnaissance comme l'origine des progrès dans la moralité.
Quant à Cynthia Estlund de l'Université de New York, elle a montré comment l'atelier et le bureau étaient le lieu où des personnes d'origine différentes qui ne se seraient jamais rencontrées pouvaient développer des relations de coopération et d'amitié. Or les traités de management des équipes sont restés à l'écart de ces considérations sur l'amitié.

"Marcher chacun son chemin original en compagnie"

À l'encontre des théories économiques les plus libérales, des recherches récentes établissent que des individus sont prêts à sacrifier une partie de leurs gains monétaires en échange d'une meilleure estime d'eux même.
Juliette Tournand, auteure de "la stratégie de la bienveillance", précise que "dans cette rencontre de l'autre, il n'est donc absolument jamais question de renoncer à soi-même en suivant aveuglément les pas d'un autre. Mais bien au contraire de créer sa propre route à côté de l'autre qui crée la sienne propre". En bref, résume la coach et consultante : "Marcher chacun son chemin original en compagnie, se rencontrer tant que notre route est commune, et se réaliser un peu plus à chaque pas et à chaque rencontre".
Au final, chacun prend dans ce domaine ses responsabilités.
"Il reste que la coopération suppose que quelqu'un commence par y croire, quitte à ce que ce soit en univers hostile (où la bienveillance est à la fois insolite et précieuse), quitte à ce que ce soit par un stratège débutant qui prend le risque de faire exister le premier ce qu'il espère", conclut Juliette Tournand.
Après tout, croire à la coopération à priori possible, c'est l'esprit même de la civilisation. Ce qui fonde la vie sociale, l'industrie et le commerce, la philosophie, les arts les jeux et les sports. En sachant, comme le dit Edgar Morin "qu'il n'est pas de pilotage automatique en éthique -on ajoutera comme en bienveillance et en gentillesse-, qu'elle apportera toujours choix et pari, qu'elle nécessitera toujours une stratégie".

dimanche 10 novembre 2013

Un manager indien qui nous donne l'exemple

Article de (Express Yourself), publié le Quand l'Inde renverse les règles du management traditionnel

Vineet Nayar, ancien PDG d'un géant indien des nouvelles technologies a pour devise : "Les employés d'abord, les clients ensuite".
"Les employés d'abord, les clients ensuite", martèle Vineet Nayar, celui qui était jusqu'à il y a encore quelques mois le président-directeur général (PDG) d'un des géants indien de l'informatique, HCL Technologies (HCLT). Serait-ce une formule de plus pour chef d'entreprise désireux de passer à la postérité? Vineet Nayar le dément formellement, résultats à l'appui. En quatre années, alors que l'industrie de l'IT était en crise, HCLT a presque triplé son chiffre d'affaires (4,2 milliards aujourd'hui), été élue meilleur employeur en Asie et est devenue un modèle à la Harvard Business School.
Comment? "C'est simple, ma philosophie est de mettre les employés, ceux qui créent vraiment de la valeur, au centre de l'entreprise. Je crois qu'il faut inverser la pyramide organisationnelle et je l'ai fait."
Pas de triomphalisme dans la voix et les gestes de cet homme grand et rond, au regard sérieux et à la moustache impeccable, comme l'aiment à la porter la grande majorité des Indiens. Cette attitude jure presque avec les murs de son bureau qui sont couverts d'articles encensant un visionnaire généreux et révolutionnaire. Comment Vineet Nayar a-t-il mis en oeuvre ce que le magazine américain Fortune a qualifié de "management le plus moderne du monde"?
"En allant à l'encontre de la pensée traditionnelle qui impose aux entreprises de faire passer les clients avant tout. Or dans l'industrie des services, la vraie valeur est créée là où les clients et les employés interagissent", explique posément Vineet Nayar.

Les employés d'abord, les clients ensuite

Vineet Nayar a transformé HCLT en suivant quatre étapes clefs. "Premièrement, il faut créer le besoin de changement, raconter 'la romance de demain', c'est-à-dire une vision du futur qui motive les employés au lieu de leur faire peur. Deuxièmement, il est impératif de créer une culture du changement, centrée sur la confiance réciproque entre managers et employés." D'après lui, cela passe par la transparence: faire circuler l'information librement, ne pas hésiter à reconnaître publiquement l'existence d'un problème.
"Troisièmement, continue l'ancien PDG, il faut construire une culture du changement qui soit durable. Et enfin, il faut redéfinir le rôle du dirigeant, qui a souvent trop de pouvoir, pour en transférer une bonne partie aux employés. Pour moi, le chef d'entreprise concentre encore trop de pouvoirs. C'est la plus grande faille du management traditionnel. Cela empêche l'entreprise de se démocratiser et de libérer l'énergie des employés. A notre époque, il n'est plus envisageable que tout le pouvoir soit concentré dans les mains de quelques-uns au sommet. C'est d'autant plus valable pour une entreprise!", affirme Vineet Nayar, comme s'il s'agissant d'une évidence dans un pays pourtant connu pour son fonctionnement très hiérarchique et cloisonné.
Serait-ce une méthodologie romancée? Des paroles de gestionnaire désireux de donner un visage plus humain a son entreprise? Une stratégie pour attirer les talents? Vineet Nayar s'en défend. "C'est une profonde transformation, une nouvelle façon de concevoir l'entreprise qui, je pense, représente la gestion du futur." Il se désole de voir encore "tant d'organisations arc-boutées sur des hiérarchies traditionnelles et obsolètes. Il en résulte un fossé entre les différents niveaux hiérarchiques et plus grave encore, un manque de confiance généralisé."

Appliquer cette méthode à l'entrepreneuriat social

"Je crois profondément que se concentrer avant tout sur le changement de mentalités permet de réaliser des miracles." Considérant qu'il avait réussi ce pari chez HCLT, Vineet Nayar souhaite maintenant transposer cette philosophie, "les employés d'abord, les clients ensuite", aux secteurs social et public. "Mon seul but maintenant est de travailler de façon étroite avec le secteur public afin d'insuffler un vent d'innovation pour changer les mentalités", affirme-t-il. "C'est une approche par le changement. Je suis moins préoccupé par les bénéficiaires des programmes sociaux que par ceux qui les pensent et les mettent en oeuvre. En somme, l'agenda transformationnel n'a pas changé, c'est simplement le sujet qui a changé."
C'est cette vision qui l'a poussé à créer une organisation caritative: Sampark, "être en contact", en hindi, centré sur l'éducation primaire. La tâche est très ambitieuse autant que salutaire pour le pays. En Inde, entre 8 et 60 millions d'enfants sont toujours déscolarisés (le chiffre varie selon les sources) et l'Inde se trouve tout au bas du classement du Programme for International Student Assessment (PISA) de l'OCDE. Mais Vineet Nayar ne se démonte pas. "Mon but dans la vie est d'avoir un impact sur des millions de vies", explique-t-il, avec calme et confiance.
Sampark a pour objectif de toucher 250000 enfants dans un Etat rural du Nord de l'Inde, le Punjab, en formant les enseignants au management de la transformation et à l'adoption des méthodes d'enseignement les plus innovantes. "Je suis convaincu qu'un employé du secteur public ou un enseignant veut vraiment améliorer le système d'éducation de son pays. Mais ses bonnes intentions se heurtent à un si grand nombre de contraintes qui l'accablent, qu'il ne parvient pas à changer les choses. Changer les mentalités cela veut dire enlever certaines de ces contraintes et motiver l'employé afin qu'il les dépasse tout en ayant conscience qu'il a tout à y gagner. Nous avons appelé ce programme "Parivartan" ou changement", décrit l'ancien PDG. La première phase du programme a débuté dans le district de Patiala ou se trouvent 481 écoles publiques, 650 enseignants et 50 000 enfants. Sampark va former et superviser les enseignants "en utilisant des techniques empruntées au software engineering et aux méthodes centrées sur l'apprentissage par l'activité."

Changer d'échelle

"Nous ne voulons nous concentrer que sur les écoles primaires publiques parce que vous ne pouvez pas transformer réellement sans passage à l'échelle", analyse Vineet Nayar. "Quand le projet qui a débuté au Punjab sera un succès, alors nous aurons un exemple que d'autres Etats de l'Inde voudront répliquer. Comme HCLT a été un exemple pour de nombreuses autres entreprises", continue-t-il.
Il conclut en expliquant qu'il "en a fini avec la classe moyenne indienne. Je reste connectée à celle-ci par le biais de mes écrits. La vraie Inde a besoin d'innovation dans le secteur de l'éducation. La technologie suivra", conclut-il avec le même ton calme et déterminé.