jeudi 31 janvier 2008
Pourquoi les certificats de « systèmes de management » se sont-ils dévalorisés ?
Les certificats de « systèmes de management » ont été portés sur les fonds baptismaux accompagnés d’intenses promesses de réussite. Les ISO 9000 et consorts étaient annoncées comme détenant les secrets de la qualité et du succès.
Malheureusement, la réalité actuelle en est loin : les acheteurs constatent chaque jour que les fournisseurs certifiés ne sont globalement ni meilleurs ni plus mauvais que les autres (et les statistiques d’achat le prouvent) et, au sein des organismes certifiés, la démarche qualité est souvent marginalisée, à la charge du seul responsable qualité qui doit se « battre » pour faire respecter les procédures.
Pourtant, en théorie, la certification est très attrayante : l’organisme certifié doit se fixer des objectifs qualité, suivre leur réalisation et l’appréciation de ses clients, organiser et formaliser ses processus principaux, traiter ses dysfonctionnements… Il ne devrait donc être attribué qu’à des super-entreprises, auxquelles on pourrait se fournir en confiance.
C’est tout aussi attrayant pour les entreprises elles-mêmes car les exigences précédentes donnent le canevas d’une excellente démarche de progrès et d’une bonne approche du marché, fondée sur la satisfaction des clients.
Où est le hic ?
Il y en a plusieurs, mais le plus important est la nature des audits de contrôle, qui ne permettent pas de garantir la qualité des produits et services fournis. Ceux-ci ne vérifient en effet pas cette dernière mais la conformité à la norme. Or la conformité peut être très facilement « simulée » lors d’audits qui ne passent que quelques minutes sur chaque sujet. Il suffit d’avoir les procédures et les papiers en ordre.
Par ailleurs, les auditeurs ne sont pas axés sur les incidents rencontrés mais sur le formalisme et la traçabilité. Ils vont pinailler le contenu de la revue de direction ou la tenue à jour des documents, alors que le SAV est très long ou les erreurs de livraison nombreuses. Les remarques ne porteront pratiquement jamais sur la qualité des fournitures, considérée comme hors sujet…
Du reste, les auditeurs ne vérifient pas la justesse des indicateurs et ceux-ci sont facilement truqués : on élimine les cas « difficiles » : un client très mécontent sera jugé « anormal » et donc sorti de la statistique, si le taux de retards est élevé, il ne sera pas suivi…
Les intérêts se rejoignent ainsi : la mission du responsable qualité est de conserver absolument le certificat, celle de l’auditeur est de ne pas perdre le client qui, si on lui enlevait le certificat, s’adresserait aussitôt ailleurs, à un organisme de certification réputé plus tolérant. Le taux d’échec au certificat est d'ailleurs extrêmement faible, de l’ordre de 3/1000…
Il y a donc une ambigüité majeure au niveau des objectifs du label : les clients des certifiés en attendent essentiellement l’attestation d’une bonne qualité des produits et services fournis, les certificateurs vérifient seulement l’existence d’un formalisme donné, et celui-ci est loin de garantir la qualité.
A l’intérieur de l’entreprise, ce formalisme est en effet trop théorique et administratif. Il devient donc vite artificiel et mal respecté. Quelques exemples :
La politique qualité : les normes exigent une déclaration du dirigeant précisant les objectifs qualité de la société. Ce serait bien si l’auditeur demandait la traduction de ces objectifs dans des indicateurs précis puis examinait ceux-ci en vérifiant leur justesse (il suffit souvent de procéder par sondage dans les dossiers commerciaux et techniques).
Il pourrait ainsi s’assurer de la tenue ou non des objectifs, ce qui devrait être le critère essentiel pour obtenir le certificat, puisque c’est justement ce qu’attendent les clients de l’entreprise à certifier. Ces objectifs qualité devraient être au cœur du certificat et affichés dans celui-ci.
Ce n’est pas ce qui est fait. L’auditeur va s’attacher surtout au formalisme de la déclaration, à sa connaissance à la lettre par le personnel, à son examen en revue de direction… Mais pas d’examen détaillé de la mise en œuvre et des résultats. Une entreprise qui ne respecte pas ses objectifs qualité peut très bien être certifiée.
La faible valeur commerciale des certificats en est la conséquence immédiate.
Les procédures : en dépit des versions successives, le sacro-saint principe des normes demeure le respect des procédures. C’est certainement une bonne chose pour les activités courantes. Comme nous l’analysons dans un article précédent « ISO 9000 or not ISO 9000 ? », il faut distinguer les processus répétitif de base (courrier, entretien, traitement des dossiers, production courante…) qui doivent être réalisés avec méthode et rigueur, et les processus métiers plus complexes, pour lesquels la qualité repose avant tout sur l’initiative et l’inventivité :
Pour obtenir la qualité, les choses ne se passent en effet jamais comme prévu : un camion est en panne, l’adresse est mauvaise, il manque des pièces, du personnel est absent, la demande des clients évolue, des nouveaux concurrents apparaissent… Face à tous ces problèmes, c’est la volonté de bien faire et de réussir qui devient la clef de la qualité, soit « l’esprit qualité », et non plus le respect passif de procédures.
Or nous touchons justement là aux failles principales des ISO 9000 : les audits se limitent à vérifier le respect des textes et ne prennent pas assez en compte les résultats. Ce qui n’est pas écrit n’existe pas et le détail compte plus que le fond.
Ce faisant, ils négligent aussi le « facteur humain », soit la valeur et la motivation des hommes et femmes de l’entreprise, qui sont pourtant les moteurs essentiels de la qualité. Une entreprise peut être une véritable machine à démotiver, comme on le voit souvent, et être certifiée quand même. On peut être sûr que sa qualité sera médiocre. Il y a ici un terrible malentendu sur la notion-même de management, ce dernier étant avant tout une direction d’hommes.
Ceci a de profondes conséquences :
D'abord, de peur des remarques formelles, les procédures sont usuellement réduites au minimum. Elles ne servent donc pratiquement plus à rien car elles ne font que reprendre ce que chacun sait, ce qui est inutile (sauf peut-être pour accueillir les nouveaux, mais c’est bien limité !). On aboutit ainsi à une absence de méthodes écrites détaillées, soit l’inverse du besoin de la qualité.
Les opérateurs ont en effet besoin de guides, de check-lists, de repères… pour travailler sans erreurs. La documentation est d'abord faite pour les aider… (j’ai ainsi rencontré une entreprise qui avait supprimé tous les plans de câblage de ses machines parce qu’ils n’étaient plus à jour, de peur de non-conformités… Les opérateurs n’avaient plus rien pour se dépanner…).
Ensuite, ce pinaillage formel énerve les personnels et les services de l’entreprise, qui se trouvent en face d’un auditeur qui ne semble pas chercher à vérifier s’ils travaillent bien mais à les coincer sur des détails de procédures. Ceci dégrade fortement l’image de la qualité qui est dissociée du bon travail et se retrouve assimilée au formalisme.
Ce rejet est très grave car il contribue à isoler le responsable qualité, qui est alors ressenti comme le séide du certificateur et non plus comme l’améliorateur au service de tous.
Alors, que faire ?
Nous avons examiné la problématique de l’entreprise face à cette situation normative trouble dans l’article précédent « Faut-il se faire certifier ? Et si on l’est, faut-il maintenir le certificat ? ». Nous en avons déduit que, si le certificat est exigé, la bonne solution est de mener une « vraie » démarche qualité, axée sur l’amélioration de l’entreprise, sans trop se soucier de la norme. Cette méthode permet de profiter de la certification pour apporter le plus d’améliorations possibles sans tomber dans les déficiences de la norme et de la certification. C’est la bonne solution. Elle permet de faire cohabiter certification et excellence.
L’idéal serait toutefois bien sûr que les certificateurs corrigent les défauts du système. Donnons-leur quelques idées :
Les audits devraient avant tout examiner les résultats qualité de l’entreprise, c’est-à-dire ses indicateurs fondamentaux tels que les taux de problèmes sur les livraisons et les relations clients (retards, non-conformités, erreurs de livraison ou de facturation, réclamations et litiges clients…). Ceci devrait conditionner l’attribution des certificats.
En cas de mauvais indicateurs, ils devraient approfondir l’organisation et les méthodes de l’entreprise, en portant leur regard sur l’essentiel, c’est-à-dire sur les « vrais » critères de la qualité, soient les moyens, la coordination, les compétences, etc… et non pas sur le détail documentaire.
Ils devraient s’attacher davantage à l’état d’esprit de l’entreprise, ce qui peut être mesuré par les indicateurs qualité eux-mêmes (de bons indicateurs traduisent automatiquement la volonté de bien faire), mais aussi par le turn-over, l’absentéisme, les enquêtes périodiques auprès du personnel, les mouvements sociaux, les litiges…
Ils aideraient aussi le certifié en étant rigoureux sur tous les processus de base répétitifs, dont les procédures doivent être respectées à la lettre (ainsi que dans des domaines clefs tels que la sécurité).
Ils répondraient ainsi mieux aux besoins :
A ceux des clients des entreprises certifiés qui y trouveraient de véritables garanties de qualité pour les fournitures
A ceux des certifiés qui attendent des audits sérieux et constructifs
A ceux de la certification elle-même qui y retrouverait une image renforcée et certainement une nouvelle expansion
CD
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2 commentaires:
Merci pour cet article. Je suis responsable qualité en hôpital psychiatrique et j'ai trouvé dans votre article de nombreuses réponses aux interrogations formulées par les professionnels dans ce secteur d'activité au sujet de la qualité et à la nécessaire dimension humaine à donner à la qualité.
david.lafarge@laposte.net
J'adhère entièrement à cette conception de la qualité,et de la santé-sécurité au travail.
Du bon sens, de la collaboration à tous les niveaux de l'entreprise, adapté au terrain et non pas au papier
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