Les démarches qualité rencontrent de nombreuses difficultés : manque de soutien par la direction et les autres services, manque de moyens, mauvais respect des procédures établies, lourdeur documentaire... Ceci est paradoxal car les démarches qualité sont normalement destinées à améliorer l’organisation et le fonctionnement, au service des « clients », des personnels et de la performance. Elles devraient donc recueillir un assentiment général. Pourquoi donc un tel rejet ? En réalité, les doctrines, normes, référentiels et guides sur la qualité véhiculent de nombreuses idées fausses, qui expliquent les difficultés rencontrées, car elles ne correspondent tout simplement pas aux situations réelles. Citons-en ici quelques unes : 1. Pour se faire certifier, la meilleure méthode est de suivre le référentiel à la lettre : C’est faux pour deux raisons, l’une psychologique, l’autre objective : D’abord parce que, psychologiquement, lorsqu’on cherche simplement à se mettre en conformité à un référentiel, on ne réfléchit pas « amélioration » et on se borne au chemin le plus court et le plus logique apparemment, soit l’écriture des documents demandés : organigrammes, descriptions des postes, des processus, de la stratégie… Ce faisant on se limite aux remises en cause minimales pour pouvoir rédiger les papiers. Les gains apportés sont donc faibles. L’opération est en conséquence considérée comme peu utile par les autres services, voire comme une nuisance, et ils s’en désintéressent. On gagne en clarté d’organisation (au moins au début car les vieux démons reprennent vite le dessus) mais très peu en qualité. Le fonctionnement est même moins bien optimisé qu’avant suite au formalisme imposé, souvent peu utile en réalité. Les documents sont également rédigés à minima, pour obtenir le certificat et non pour travailler mieux, ils sont donc inutiles pour le travail et dorment sagement dans des tiroirs. Le maintien de la base documentaire devient une galère. Le faible gain en qualité au niveau des patients et clients rend le certificat peu utile à leur niveau. Le patient attend en effet d’un hôpital l’efficacité des soins et de l’agrément du séjour. Si le certificat ne garantit ni l’un ni l’autre, le patient/client ne va pas en tenir compte et c’est normal. C’est ce qui s’est produit dans l’industrie où les certificats ISO 9000 n’ont aucune valeur commerciale. La démarche de conformité, pourtant adoptée largement par les consultants et enseignée dans les formations, cumule donc les inconvénients. La seconde raison, plus objective, est la forte évolutivité des référentiels, ainsi que leur nombre considérable. Si on structure sa base documentaire en suivant l’un d’eux, il faudra tout revoir lorsqu’il changera, ou bien si on aborde un nouveau domaine d’activité ou un nouveau donneur d’ordres. Or, tous ces référentiels sont bâtis sur les mêmes bases : fixation claire d’objectifs qualité, mise en œuvre interne, mesure, démarche d’amélioration et gestion… soient les bases d’une bonne démarche qualité. Tous les référentiels sont alors comme les recettes de cuisine : ils cuisinent toujours les mêmes aliments, mais avec des noms et des formulations différents. La solution est donc de mettre en place une bonne démarche qualité interne destinée à assurer la qualité des soins, la satisfaction des patients, le bon fonctionnement interne, le maintien de la motivation du personnel, l’optimisation financière… sans se soucier des référentiels. J’ai appelé cette démarche, la démarche « fonctionnelle » (car elle est uniquement centrée sur l’amélioration de l’organisme. Elle est notamment décrite dans le QUE SAIS-JE « La qualité ». On est alors assuré d’être conforme à tous les référentiels qualité « sur le fond », avec simplement quelques compléments formels à apporter pour atteindre la conformité à tel ou tel, les auteurs rivalisant d’inventivité pour inventer des documents et des dénominations nouvelles. A titre d’exemple, les entreprises qui ont suivi la démarche fonctionnelle avec la version 94 de la norme ISO, sont passées aux versions suivantes sans pratiquement rien changer en interne. De même lorsqu’elles veulent exporter à l’étranger et se heurtent à d’autres référentiels. Le problème est patent dans la santé, dans laquelle le référentiel de certification varie considérablement d’une version à l’autre. On cumule ainsi alors les avantages : - Etant axée sur les améliorations utiles, la démarche intéresse fortement les services, qui s’y impliquent. Elle est donc rapide et agréable (cela ne veut toutefois pas dire que son animation ne demande pas d’énergie, mais c’est de l’énergie « positive »…). Elle se pérennise également dans le temps (naturellement si la direction continue de la soutenir). - Elle apporte de nettes plus-values à tous les acteurs, y compris aux patients et aux personnels, et contribue à assurer le développement de l’établissement. La « qualité » (en tant que discipline) y trouve donc une place reconnue. On pourrait craindre que cette démarche entraîne des non-conformités au moment des audits de certifications. C’est cette crainte qui conduit les responsables qualité non expérimentés à « foncer » dans la conformité. Mais c’est une crainte erronée. Au contraire les non-conformités seront plus légères. Il est vrai en effet que les personnels connaissent alors mal le référentiel et ne travaillent pas pour lui. Mais c’est oublier que la démarche de conformité conduit à une conformité « apparente » et « plaquée », difficile à maintenir, alors que la démarche fonctionnelle conduit à une démarche intériorisée en profondeur, ce que les auditeurs apprécient fortement. La démarche de conformité met bien la documentation en conformité avec la norme, mais non les états d’esprit et la réalité de terrain. Elle expose donc à des non-conformités graves sur ces points, et ces non-conformités sont difficiles à corriger.
A l’opposé, la démarche fonctionnelle crée un état d’esprit « qualité » en profondeur mais expose à des non-conformités documentaires vénielles. Heureux de voir une structure qui a une réelle démarche qualité, l’auditeur les minimise. Par ailleurs, elles sont faciles à corriger. Paradoxalement, la certification est donc facilitée par la démarche fonctionnelle. La recherche directe de la conformité expose à des non-conformités plus graves et à une forte difficulté de gestion ensuite. 2- La formalisation améliore la qualité : Non, pas forcément. D'abord elle fixe comme principe que, pour obtenir la qualité, les personnels doivent suivre les procédures et autres modes opératoires. En dehors de cas particuliers critiques, ceci est faux pour une raison simple : la vie réelle ne se déroule pas comme dans les documents : un tel est absent, la matériel est en panne, le produit manque, le patient a fait une crise… La qualité ne consiste alors pas à s’arrêter et à attendre, puisque la procédure est inapplicable, mais à faire en sorte d’atteindre l’objectif malgré les obstacles. Ce qu’on attend d’un personnel de qualité n’est pas de suivre bêtement les instructions mais de faire preuve d’initiative et d’intelligence pour réussir. En dehors des cas critiques pour la sécurité, qui demandent de suivre strictement les protocoles, c’est la compétence, l’intelligence et la motivation des personnels qui sont à la base de la qualité. Or ceci est quasiment ignoré de la quasi-totalités des référentiels, qui « instrumentalisent » au contraire les personnels, en considérant que, si on met en place les procédures, comités, contrôles et autre indicateurs prévus, la perfection est atteinte. Toute personne qui a fait un peu de terrain sait que c’est un leurre… Par ailleurs, les procédures écrites servent souvent d’alibi pour les mauvaises volontés. Ainsi, une infirmière refusera d’appliquer les instructions téléphoniques d’un médecin parce que la procédure prévoit que celles doivent être écrites. Le patient malade appréciera… On constate couramment que, plus il y a de règles et de procédures, plus les déviances sont nombreuses… On retrouve aussi cette erreur dans le référentiel 2010 de la Santé avec les 4 niveaux de maturité N1 à N4 : ce n’est pas parce qu’un processus est documenté qu’il fonctionne bien… Les documents doivent donc être conçus non pas pour enrégimenter les personnels mais pour les aider à faire la qualité : on y précisera tout ce qu’ils maîtrisent mal, les points essentiels aux quels ils doivent veiller, les réponses aux questions courantes… Un bon document est celui qui permet à son utilisateur de réaliser le travail concerné sans erreur et avec un apprentissage minimal. J’appelle cela des « documents-outils ». 3- Il faut mettre en place un Système de Management de la Qualité : La notion de « Management de la Qualité » est contestable en soi, car on manage une équipe et non une performance. Le responsable ne manage pas la « qualité » mais son personnel. La locution dévoie donc la notion de management et fait justement perdre l’aspect « humain » qui est pourtant prépondérant dans le management et pour la qualité elle-même. « Management par la qualité » est préférable, pour souligner que l’un des critères forts à prendre en compte par le manager est la qualité. Mais c’est aussi très restrictif, car la qualité n’est qu’un des éléments à considérer. Pour ma part, la bonne terminologie à prendre en compte serait l’ « assurance de la qualité » dans son sens propre, soit la garantie de la qualité, et non dans son sens qualiticien procédurier. En qualité, on a réussi lorsqu’on à une assurance suffisante de cette qualité, c'est-à-dire que l’on s’est organisé pour être suffisamment sûrs d’atteindre l’objectif fixé. Pour cela il faut justement une excellente organisation, du personnel compétent et motivé, un bon management, etc… On retrouve bien tous les ingrédients de la démarche… Par ailleurs, la locution « Système de Management de la Qualité » est très discutable. Elle prend pour principe que la qualité repose sur un « système » qui se superpose à l'entreprise, constitué de procédures, contrôles, comités, fiches de relevés… Les auditeurs, ainsi, n’auditent pas réellement l'entreprise mais son « Système de Management de la Qualité », c'est-à-dire la superstructure créée spécialement pour la certification. C’est une vision très taylorienne de l'entreprise, qui nous renvoie au XIXème siècle. En réalité, l’objectif moderne de la qualité n’est pas de contrôler, mais d’obtenir la qualité à la source : faire bien du premier coup. Dans cette optique, tout le monde construit la qualité, le balayeur comme le médecin ou le dirigeant. Le système qualité est en fait l’établissement lui-même. Il vaut donc mieux employer une terminologie habituelle, telle que définie par le dictionnaire, et éviter les termes qualiticiens, entachés d’inexactitudes et de contre-sens. 4- Les audits de conformité permettent de vérifier la qualité de l’organisation : C’est encore faux. La seule façon de vérifier si une organisation est bonne est de vérifier ses résultats et plus précisément l’absence d’incidents externes et internes sur une durée suffisante :
- Les objectifs fixés sont-ils atteints de façon suffisamment régulière (« suffisamment » devant être interprété en fonction des risques acceptés) ?
- Le déroulement de l’activité est-il optimisé, c'est-à-dire optimisé et dénué de tout dysfonctionnement, perte de temps, sources d’erreurs, etc… ?
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