Article de Brunep (Express Yourself), publié le Quand l'Inde renverse les règles du management traditionnel
"Les employés d'abord, les clients ensuite", martèle Vineet Nayar,
celui qui était jusqu'à il y a encore quelques mois le
président-directeur général (PDG) d'un des géants indien de
l'informatique, HCL Technologies (HCLT). Serait-ce une formule de plus
pour chef d'entreprise désireux de passer à la postérité? Vineet Nayar
le dément formellement, résultats à l'appui. En quatre années, alors
que l'industrie de l'IT était en crise, HCLT a presque triplé son
chiffre d'affaires (4,2 milliards aujourd'hui), été élue meilleur
employeur en Asie et est devenue un modèle à la Harvard Business School. Comment? "C'est simple, ma philosophie est de mettre les employés, ceux qui créent vraiment de la valeur, au centre de l'entreprise. Je crois qu'il faut inverser la pyramide organisationnelle et je l'ai fait."
Pas de triomphalisme dans la voix et les gestes de cet homme grand et rond, au regard sérieux et à la moustache impeccable, comme l'aiment à la porter la grande majorité des Indiens. Cette attitude jure presque avec les murs de son bureau qui sont couverts d'articles encensant un visionnaire généreux et révolutionnaire. Comment Vineet Nayar a-t-il mis en oeuvre ce que le magazine américain Fortune a qualifié de "management le plus moderne du monde"?
"En allant à l'encontre de la pensée traditionnelle qui impose aux entreprises de faire passer les clients avant tout. Or dans l'industrie des services, la vraie valeur est créée là où les clients et les employés interagissent", explique posément Vineet Nayar.
Les employés d'abord, les clients ensuite
Vineet Nayar a transformé HCLT en suivant quatre étapes clefs. "Premièrement, il faut créer le besoin de changement, raconter 'la romance de demain', c'est-à-dire une vision du futur qui motive les employés au lieu de leur faire peur. Deuxièmement, il est impératif de créer une culture du changement, centrée sur la confiance réciproque entre managers et employés." D'après lui, cela passe par la transparence: faire circuler l'information librement, ne pas hésiter à reconnaître publiquement l'existence d'un problème."Troisièmement, continue l'ancien PDG, il faut construire une culture du changement qui soit durable. Et enfin, il faut redéfinir le rôle du dirigeant, qui a souvent trop de pouvoir, pour en transférer une bonne partie aux employés. Pour moi, le chef d'entreprise concentre encore trop de pouvoirs. C'est la plus grande faille du management traditionnel. Cela empêche l'entreprise de se démocratiser et de libérer l'énergie des employés. A notre époque, il n'est plus envisageable que tout le pouvoir soit concentré dans les mains de quelques-uns au sommet. C'est d'autant plus valable pour une entreprise!", affirme Vineet Nayar, comme s'il s'agissant d'une évidence dans un pays pourtant connu pour son fonctionnement très hiérarchique et cloisonné.
Serait-ce une méthodologie romancée? Des paroles de gestionnaire désireux de donner un visage plus humain a son entreprise? Une stratégie pour attirer les talents? Vineet Nayar s'en défend. "C'est une profonde transformation, une nouvelle façon de concevoir l'entreprise qui, je pense, représente la gestion du futur." Il se désole de voir encore "tant d'organisations arc-boutées sur des hiérarchies traditionnelles et obsolètes. Il en résulte un fossé entre les différents niveaux hiérarchiques et plus grave encore, un manque de confiance généralisé."
Appliquer cette méthode à l'entrepreneuriat social
"Je crois profondément que se concentrer avant tout sur le changement de mentalités permet de réaliser des miracles." Considérant qu'il avait réussi ce pari chez HCLT, Vineet Nayar souhaite maintenant transposer cette philosophie, "les employés d'abord, les clients ensuite", aux secteurs social et public. "Mon seul but maintenant est de travailler de façon étroite avec le secteur public afin d'insuffler un vent d'innovation pour changer les mentalités", affirme-t-il. "C'est une approche par le changement. Je suis moins préoccupé par les bénéficiaires des programmes sociaux que par ceux qui les pensent et les mettent en oeuvre. En somme, l'agenda transformationnel n'a pas changé, c'est simplement le sujet qui a changé."C'est cette vision qui l'a poussé à créer une organisation caritative: Sampark, "être en contact", en hindi, centré sur l'éducation primaire. La tâche est très ambitieuse autant que salutaire pour le pays. En Inde, entre 8 et 60 millions d'enfants sont toujours déscolarisés (le chiffre varie selon les sources) et l'Inde se trouve tout au bas du classement du Programme for International Student Assessment (PISA) de l'OCDE. Mais Vineet Nayar ne se démonte pas. "Mon but dans la vie est d'avoir un impact sur des millions de vies", explique-t-il, avec calme et confiance.
Sampark a pour objectif de toucher 250000 enfants dans un Etat rural du Nord de l'Inde, le Punjab, en formant les enseignants au management de la transformation et à l'adoption des méthodes d'enseignement les plus innovantes. "Je suis convaincu qu'un employé du secteur public ou un enseignant veut vraiment améliorer le système d'éducation de son pays. Mais ses bonnes intentions se heurtent à un si grand nombre de contraintes qui l'accablent, qu'il ne parvient pas à changer les choses. Changer les mentalités cela veut dire enlever certaines de ces contraintes et motiver l'employé afin qu'il les dépasse tout en ayant conscience qu'il a tout à y gagner. Nous avons appelé ce programme "Parivartan" ou changement", décrit l'ancien PDG. La première phase du programme a débuté dans le district de Patiala ou se trouvent 481 écoles publiques, 650 enseignants et 50 000 enfants. Sampark va former et superviser les enseignants "en utilisant des techniques empruntées au software engineering et aux méthodes centrées sur l'apprentissage par l'activité."
Changer d'échelle
"Nous ne voulons nous concentrer que sur les écoles primaires publiques parce que vous ne pouvez pas transformer réellement sans passage à l'échelle", analyse Vineet Nayar. "Quand le projet qui a débuté au Punjab sera un succès, alors nous aurons un exemple que d'autres Etats de l'Inde voudront répliquer. Comme HCLT a été un exemple pour de nombreuses autres entreprises", continue-t-il.Il conclut en expliquant qu'il "en a fini avec la classe moyenne indienne. Je reste connectée à celle-ci par le biais de mes écrits. La vraie Inde a besoin d'innovation dans le secteur de l'éducation. La technologie suivra", conclut-il avec le même ton calme et déterminé.
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